Décidément, Cécile Duflot n'a pas de bol avec ses tenues vestimentaires, ou bien elle est en jeans et suscite alors les réactions indignées pour son "laisser-aller", ou bien elle tente les fleurs d'une robe d'été (soldée, 66 euros, 97% coton, 3% élasthanne et lavable en machine) et là, ce sont les réactions sexistes qui pleuvent.
Cécile Duflot huée par les députés UMP par LeHuffPost
De ces huées à l'assemblée, on aura presque tout dit, lu, et entendu. Si Cécile Duflot a été sifflée, c'est parce qu'"elle le voulait bien", et lorsqu'on ne veut pas se faire remarquer, on évite la robe à froufrous, d'ailleurs, en vrai, ce n'était pas du chahut mais de "l'admiration", nuance. Si Cécile Duflot s'est fait huer, c'est parce qu'elle serait une "tête à claques", comme peut l'être aussi Arnaud Montebourg, selon le blogueur Autheuil, fin connaisseur de l'Assemblée.
Après tout, le mieux ce serait encore d'éviter le "casual wear" à l'Assemblée, la petite robe d'été et de bien vouloir se déguiser en homme pour être prise au sérieux. Regardez Michèle Alliot-Marie ou Christine Lagarde, a-t-on envie de les admirer, hein ? Non, nous sommes d'accord. Si on veut être pris au sérieux, on fait en sorte de l'être, non mais oh. Ces réactions sont assez éloquentes et en disent tout aussi long qu'une robe virevoltante blanche à motifs "Provence Bleu Marine" à ceinture détachable portée un jour d'été à l'Assemblée nationale.
On note au passage que les députés se contredisent eux-mêmes quand d'un côté ils exigent une tenue décente et sérieuse au nom de la fonction qu'ils sont supposés incarner, la responsabilité, la charge si lourde à porter, et que de l'autre, ils revendiquent des moments "potaches" durant lesquels ils seraient autorisés à se comporter comme des sales gosses turbulents dans une cour de récré de maternelle qui se balancent des invectives et des blagounettes qu'eux seuls trouvent drôles. Et encore, maternelle, je suis gentille. Heureusement, tout cela fait le bonheur du "Petit Journal" de Canal Plus et de Yann Barthès qui en a même fait une rubrique.
Mais reprenons les réactions de ces députés après cette affaire de "robe" : allez, au hasard, le député UMP Patrick Balkany (né en 1948). Avec lui, aucune surprise, on a juste envie de lui balancer des containers de tartes à la crème sur son abus de carotène, voire de lui assener quelques coups d'escarpins à talons bien acérés, mais de surprise, aucune.
Les nombreuses remarques déplacées
Quand il pense faire de l'humour "désopoilant" en nous expliquant que Cécile Duflot avait mis cette robe pour ne pas qu'on l'écoute, et que lui, il n'avait fait que l'admirer, c'est juste du Balkany. Comme lorsqu'il explique qu'il partirait bien en vacances avec Aurélie Filippetti car "c'est la plus jolie". Ce type est un gros macho, a toujours été un gros macho, sera toujours un gros macho, pour ne pas utiliser un autre mot.
Un peu comme l'autre député UMP Bernard Debré (né en 1944), avec son léger et ironique "pourquoi pas ?" à l'idée d'une femme à la tête de l'UMP, mais qui précise quand même que "Vuitton ou Dior n'ont pas leur place à ce niveau-là", parce qu'il s'agit de Rachida Dati, et que Rachida Dati, il ne peut juste pas l'encadrer.
Ou bien un Marc Le Fur (né en 1956), encore un député UMP, qui traite Fleur Pellerin de "pot de fleur" en pleine assemblée, "juste là pour servir les apparences". Ou encore un Jacques Myard (né en 1947) qui a justifié de "simples sifflets" en hommage "à la beauté de cette femme". Bref, à l'ouest de la connerie des vieux dinosaures, rien de nouveau, on fait passer l'insulte pour un compliment en espérant que tout le monde va avaler le ver, l'hameçon, la ligne et la canne à pêche avec tant qu'on y est.
Là où c'est plus intéressant, ce sont les réactions de la "jeunesse" politique, de cette nouvelle garde montante qui logiquement devrait avoir intégré la parité, la représentation des femmes en politique et qui pourtant, en voulant soit-disant la défendre, se prend les pieds dans le tapis et prouve qu'il n'en est rien. Si on peut ne pas être surpris de la réaction d'un David Douillet (né en 1969), toujours aussi léger, qui explique qu'en "sport, on a l'habitude de voir des jolis corps". On peut davantage s'étonner de ceux supposés être plus "modernes".
Comme l'ancien ministre UMP, Laurent Wauquiez (né en 1975), qui minimise d'abord, comme ses confrères : mais non voyons, ce n'est pas un moment sexiste, juste un peu potache tout au plus. D'ailleurs l'Assemblée est bien connue pour ses moments potaches, et puis "Il y aurait eu le même type de chahutage si un homme avait porté une cravate fluo orange". Ou une veste rouge à la Patrick Roy. Ou un col Mao à la Jack Lang. En clair, tout ce qui s'éloigne de l'uniforme accepté, tailleur, costume, cravate, gris si possible, en tout cas pas trop voyant.
Laurent Wauquiez : "Ce n'est pas un bouclier... par FranceInfo
Cécile Duflot est-elle venue en short et en tongs à l'Assemblée nationale ? Après tout, je préférerais une députée en tongs qui vient aux séances, qui bosse et qui vote de bonnes lois plutôt qu'un député en costume absentéiste et qui refuse en plus de rendre des comptes sur ses indemnités parlementaires. Cécile Duflot est-elle venue siéger en bermudas ou en survêtement ? Non. Elle est venue en ROBE.
Non, mais quand même, répétons-le : une ROBE. Une putain de robe.
L'assourdissant silence des députées
Alors comparer une robe à "une cravate orange fluo" ? On voit en effet quelle est la définition du sexisme pour Laurent Wauquiez. "Un homme, on l'écoute, une femme, on la regarde" disait je-ne-sais-plus-qui, et je n'ai pas envie de chercher. C'est vrai. Un homme, même tête à claques, on va lui démonter ses arguments, on va le contrer sur le terrain des idées, la femme, elle, on va (tenter) de la déstabiliser en la ramenant à son état de potiche (ou de pot de fleurs), belle (ou pas) à "admirer". Sois belle, et, si possible, ne viens pas marcher sur nos plates-bandes, et surtout tais-toi.
Mais ce qui est le plus parlant dans ses réactions, ce sont celles que l'on n'entend pas forcément. L'assourdissant silence des consœurs députés de Cécile Duflot, ces femmes qui soit, n'osent pas défendre leur collègue alors même qu'on assiste à une explosion de sexisme ces derniers jours dans l'hémicycle, soit s'en fichent, ou rasent juste les murs en espérant que cela ne leur tombe pas dessus à leur tour. On ne sait pas.
Mais où sont ces 155 femmes sur ces 577 députés ? Pourquoi ne les entend-on pas, ou si peu, pour défendre Cécile Duflot, ou Fleur Pellerin, ou toute autre femme député "chahutée" sur son apparence ? Tout juste à t'on pu lire que Corinne Lepage la soutenait tout en critiquant au passage les jeans portés en conseil des ministres. Est-ce la faute des journalistes si nous n'avons que les seules réactions masculines, qu'elles soient écrites, ou orales ? Ou bien est-ce la faute de ces femmes qui ne savent pas se faire entendre ? Où est donc la solidarité féminine que revendiquentpourtant certaines en s'en félicitant ?
Imaginons, imaginons seulement, ce que pourraient donner 155 femmes debout, sur leurs talons aiguilles ou dans leurs derbies, sifflant, conspuant ou huant le sexisme de leurs confrères, 155 femmes en robes à fleurs, ou à pois, ou à froufrous, en jeans, en jupes crayon ou en tailleur-pantalon, 155 femmes qui oseraient défier, une fois, une fois seulement ces hommes qui n'acceptent décidément pas de laisser un peu de leur pouvoir à celles qui devraient leur ressembler pour être acceptées, unies, comme une seule femme. Imaginons.